1 Moine de chœur : le chœur est le lieu de l’église où se trouvent les moines pendant les offices.
2 Le terme Convers vient du latin conversus qui signifie « converti ». A l’origine ce sont tous les moines arrivés à l’âge adulte qui sont appelés « convertis » car ils ont renoncé au monde. A partir du XIè siècle, on appelle convers les religieux qui vivent la vie monastique sans être chargés de l’intégralité de l’Office divin.
UNE MÊME VOCATION
« Écoute, ô mon fils, les préceptes du Maître et incline l’oreille de ton cœur. Reçois volontiers l’avertissement d’un Père plein de tendresse, et accomplis-le efficacement… ».
C’est ainsi que saint Benoît, dans la première phrase de sa Règle, s’adresse à l’âme qui désire chercher Dieu dans le monastère, pour se donner à Lui, pour Le prier, pour Le louer, pour travailler, dans et avec la Sainte Église, au salut des âmes.
Le moine est un fils et cette vocation de fils peut s’épanouir à Randol selon deux modalités : les moines de chœur1 et les moines convers2 ou « Frères ». Cette distinction, très ancienne dans l’histoire monastique, est une richesse dont la Sainte Église a trouvé la justification dans l’épisode évangélique de Marthe et Marie (Lc.10,38 et Jn.11,1). Marie symbolise la vie de prière, elle est là aux pieds du Seigneur, elle Le regarde, elle Le prie ; c’est la vie des moines de chœur : vie de prière liturgique, dont la mission est d’assurer l’Office divin. À côté de Marie se trouve sa sœur Marthe, qui symbolise la sanctification par le travail, vie cachée, faite de dévouement et d’humilité, au service de Dieu et de la communauté ; c’est la vie du moine convers dont la mission est, en accomplissant les tâches domestiques et artisanales, de permettre aux moines de chœur d’assurer l’œuvre liturgique. La vie de Marie est différente de celle de Marthe, mais les deux sœurs, aimées du Seigneur, vivent dans une même famille, sous le même toit, et l’on sait par l’Évangile combien le Seigneur aimait se rendre chez elles, à Béthanie.
Vocation de moine de chœur et vocation de moine convers, deux genres de vie différents mais complémentaires : une union sans confusion, un même idéal de vie religieuse et de sainteté sous la Règle de saint Benoît. Les choristes et les convers vivent dans une même communauté, mettant en commun leurs grâces et leurs richesses propres pour le bien de toute la famille monastique. Tous sont moines vivant de la même Règle, sous la conduite du Père Abbé, dans le monastère qui est la maison de Dieu. Ils pratiquent les mêmes vœux de religion, ils sont animés du même idéal de sainteté et du sens de l’absolu : chercher Dieu en vérité, Lui appartenir totalement, suivre et imiter le Christ par le bien de l’obéissance, dans une vie de prière et de silence, séparés du monde.
Le moine de chœur vit cette recherche de Dieu au moyen de la prière liturgique ; c’est là sa mission propre. Par sa profession monastique, en effet, le moine choriste prête son cœur et ses lèvres à la Sainte Église qui y dépose sa prière liturgique. Il se rend à l’église sept fois le jour et une fois la nuit pour la récitation des 150 Psaumes, pour chanter les louanges de Dieu, pour L’adorer, Le glorifier et Lui rendre grâces. Chaque jour, la Messe conventuelle, qui réunit au chœur les Pères, est célébrée de façon solennelle par un moine-prêtre. Elle est l’occasion pour les novices et les jeunes profès d’exercer les fonctions liturgiques qui les préparent, pour la plupart d’entre eux, à célébrer la Sainte Messe. La beauté, la perfection et la simplicité des cérémonies et des chants, sont aussi un moyen de rendre gloire à la grandeur de Dieu.
Pour bien accomplir sa mission d’homme de prière, le moine de chœur reçoit une formation monastique et spirituelle adaptée : durant un pré-postulat à l’hôtellerie plus ou moins long, il complète ses études en humanités, principalement le latin, puis, une fois entré au noviciat, il étudie la Sainte Règle pour mieux la pratiquer, les coutumes monastiques, la liturgie, la Sainte Écriture, le chant sacré. Cette formation prépare le futur moine à la pratique des vœux de religion à la suite du Christ : pauvreté, chasteté, obéissance et stabilité.
Si le sacerdoce n’est pas essentiel à la vie monastique chorale, il s’accorde fort bien avec elle. Pour cela, la plupart des moines de chœur, comme le demande l’Eglise, sont prêtres et suivent au monastère des études de philosophie et de théologie.
Le moine de chœur est donc, par sa mission et par sa formation, tout ordonné à l’œuvre liturgique, et c’est là principalement son chemin de sanctification. Il contemple les mystères de Dieu, du Christ et de l’Église au moyen de la liturgie. Il nourrit son âme en puisant dans le trésor des textes liturgiques, mais aussi par la lectio divina (lecture divine), étude priante et aimante de la Bible. La Sainte Écriture est en effet, avec la liturgie, la source d’eau vive où l’âme du moine vient s’abreuver. Des temps de silence et de solitude sont réservés pour l’oraison et la récitation du chapelet. Les moines de chœur donnent eux aussi une partie de la journée au travail manuel et la plupart d’entre eux sont responsables des différents services de la maison de Dieu.
Auprès du moine de chœur se trouve une autre forme de vocation monastique : c’est le moine convers, ou « Frère ». Sa mission dans le monastère est de vivre une vie de service, plus cachée, simple et laborieuse, pour le service de l’Église, dans et à travers celui de la communauté. Par son dévouement quotidien il assure les tâches artisanales nécessaires à la bonne marche du monastère ; pour cela il passe davantage de temps au travail manuel. Le Frère est ainsi le gardien de l’Office divin, que sans lui le moine de chœur ne pourrait assurer avec autant de régularité. L’œuvre de Dieu garde cependant pour le Frère une place de choix, il assiste tous les matins aux Messes lues et à la Messe conventuelle les dimanches et fêtes1, récite certains offices avec les Pères : Laudes, Vêpres et les petites Heures tous les jours ; il aime à réciter le chapelet et assure les cérémonies des dimanches. La lectio divina quotidienne, des conférences sur la doctrine chrétienne, la vie spirituelle et la vie monastique, préparent et aident le Frère à la pratique des vœux de religion car il est vraiment religieux, vraiment moine, par sa vie consacrée à Dieu dans le service.
Par sa formation, plus simple et pratique, il développe ses dons particuliers en acquérant sur place, même si une formation préalable reste appréciée, les compétences nécessaires aux différents services du monastère. Le Frère convers peut être appelé à servir aux travaux de la ferme et de la fromagerie, à la confection des habits et des chaussures, au service des bois, à l’électricité, à la boulangerie, à la mécanique, à la menuiserie, à la comptabilité, etc. Tous ces services ont leur valeur et leur utilité, tous demandent de la persévérance et du courage, surtout peut-être les plus cachés, comme l’entretien de la maison, la buanderie, la cuisine. Chacun met ses talents au service de l’œuvre que Dieu veut accomplir dans le monastère, et, dans l’élaboration de cette œuvre, les Frères ont un grand rôle, non seulement par l’apport de leurs compétences dans le domaine des réalisations matérielles et techniques, mais plus encore par ce qu’ils doivent être et rayonner, ainsi que le dit Dom Delatte dans son Commentaire sur la Règle :
La journée laborieuse des Frères devient aisément un long colloque avec le Seigneur ; et le spectacle de cette fidélité joyeuse et paisible est le plus appréciable de tous leurs services (p. 418).
1 Ils prennent part à la Messe conventuelle environ un jour sur quatre.
Le Frère convers se sanctifie dans ce service quotidien accompli dans l’obéissance ; et cette sanctification par le service l’introduit à l’amitié divine qui s’achève dans la contemplation. C’est une spiritualité fondée sur l’humilité, une imitation de la vie cachée de Notre Seigneur, dans la joie et la simplicité comme celles de la Sainte Famille à Nazareth, et les Frères ont pour cette raison une dévotion toute particulière à saint Joseph.
En résumé, tous, les Choristes comme les Frères, cherchent à réaliser cette belle définition du moine :
Est moine celui qui dirige son regard vers Dieu seul,
qui s’élance en désir vers Dieu seul,
qui est attaché à Dieu seul,
qui prend le parti de servir Dieu seul,
et qui, en possession de la paix avec Dieu,
devient encore cause de paix pour les autres.
(Saint Théodore Studite)
Ce rayonnement de la paix est le plus beau service que les moines peuvent rendre au monde ; c’est une part, et non la moins féconde, de leur apostolat silencieux.
C’est ce que veut signifier la devise du monastère de Randol :
In Corde Ecclesiae
inspirée de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus : « Dans le Cœur de l’Eglise, ma Mère, je serai l’amour ».
Mais il est clair que pour rayonner lui-même cette paix et cet amour, le moine doit consentir de bon cœur à bien des renoncements, dans l’élan du désir de rencontrer Dieu, de L’aimer et de Lui rendre gloire dès ici-bas, en attendant de le faire éternellement au ciel.
Si c’est un bonheur d’habiter dans la maison de Dieu, c’en est un autre d’habiter dans la maison de sa Douce Mère. En effet, depuis sa fondation en 1969, ce monastère et son église lui sont consacrés dans le mystère de sa Visitation : En ces jours-là, Marie partit en hâte dans la montagne (Lc. 1, 39).
La Vierge Marie est la Mère des moines, elle leur apprend à écouter la Parole de vie, à contempler les divins mystères de la liturgie, à les méditer dans leur cœur pour entrer dans l’imitation de son Fils qui s’est livré pour nous ; elle renouvelle en eux la paix de Dieu, fleur du silence intérieur, et leur redit, quand vient le soir, qu’elle est Reine de Miséricorde, leur Vie, leur Douceur et leur Espérance. Marie apprend aux moines le secret des béatitudes évangéliques et de cette enfance spirituelle qui est comme le sceau particulier de la sainteté monastique et qui la rend si aimable.
Salve Regina Mater Misericordiae,
Vita dulcedo et Spes nostra, Salve.