Vénérable François-Xavier Nguyen Van Thuân, Cardinal
17 avril 1928 – 16 septembre 2002
Prisonnier politique et apôtre de la paix
Thuân est archevêque de Saïgon lorsque la police communiste l’emprisonne, le 15 août 1975, jour de l’Assomption de la Vierge Marie. En raison de sa foi et de son implication personnelle et familiale profondément anti-communiste, il passe treize années d’incarcération dont neuf années en isolement. Aucun procès officiel n’est intenté contre lui.
« Jamais la vie humaine n’a eu si peu de prix et cela me révolte. Le souffle m’en est coupé d’entendre mensonge après mensonge. On ne tient pas ses promesses et je ne trouve plus le goût de vivre. (…) Mais Dieu m’a créé, il a voulu que je vive ici et maintenant, ceci est mon heure et je regarde la croix. Je suis sans secours et je n’ai plus rien à donner, comme le Christ dépouillé sur la croix, il ne reste que son Amour. Jésus nous invite aussi à nous aimer mutuellement. Il serait si facile de se boucher les oreilles pour ne plus entendre la souffrance de nos frères. Il est même possible de se ranger parmi les oppresseurs. Mais rendons gloire au Christ crucifié, dont le message est considéré comme une folie pour le monde. »
Il reste d’abord en résidence surveillée. Là, jour et nuit, il pense à son peuple qu’il aime tant. Il comprend alors qu’il ne peut pas rester sans rien faire pour eux. Lui vient l’inspiration d’imiter saint Paul lorsqu’il écrit des lettres de captivité. Thuân fait appel à un jeune de garçon de 7 ans qui passe quotidiennement devant ce presbytère. Dans la clandestinité, cet enfant amène régulièrement ces notes de prison à la famille de Thuân. Ces pensées rédigées sur de simples feuilles sont ensuite recopiées au sein des différentes familles et communautés. Ces paroles d’espérance pénètrent dans les prisons où les détenus y trouvent consolation dans leur détresse. Les notes sont emportées hors du Vietnam par les ‘boat people’. En la fête de saint Joseph, le 19 mars 1976, la police a vent des messages d’espérance largement répandus. Thuân est conduit à une prison où il reste huit mois en isolement : une des périodes les plus pénibles de sa vie.
« Tu dois distinguer entre l’œuvre de Dieu et Dieu lui-même », réalise-t-il en lui-même.
Cette révélation est pour Thuân un renouvellement de ses forces spirituelles, une grâce dans les moments difficiles. La paix ne le quitte plus jamais. Dès lors, il s’abandonne complètement à Dieu et apprend à ne plus redouter la solitude. Cette expérience et cette découverte spirituelle sont déterminantes dans sa vie et l’aident énormément pendant les treize années de sa détention arbitraire.

« L’amour ne craint pas le combat. »« L’amour accepte les difficultés et accueille avec joie les charges pénibles ». Il conserve une santé mentale et une capacité d’aimer et de pardonner étonnantes. Son témoignage de vie convertit deux de ses geôliers. L’Eucharistie et la Vierge Marie sont invariablement sa force intérieure. Elles le resteront jusqu’à ses derniers jours de vie. En prison, clandestinement, il célèbre l’Eucharistie. « Voilà mon autel, voilà ma cathédrale ! C’est le vrai remède de l’âme et du corps. Je sens battre dans mon cœur le Cœur même du Christ, je sens que ma vie est la sienne et que sa Vie est la mienne. Il vit en moi et moi en Lui, en sorte de symbiose et de mutuelle immanence. Il reste en moi. Je ne pourrai jamais exprimer une si grande joie. Chaque jour, avec trois gouttes de vin et une goutte d’eau dans la paume de la main, je célèbre la messe. »
Le 21 novembre, en la fête de la Présentation de la Vierge Marie au Temple, il est libéré. Auparavant, il a beaucoup prié, sans connaître la promptitude de sa libération. Comme Marie, il se présente devant Dieu mais il éprouve beaucoup de difficultés à discerner ce que le Seigneur veut pour lui. D’un côté, il souhaite dire à Dieu : ‘Fiat, que ta volonté soit faite : si tu veux que je passe le reste de ma vie en prison, je l’accepte. Si tu veux que je meure en prison, donne-moi le courage d’être prêt.’ Par ailleurs, il dit aussi : ‘Fiat : si c’est ta volonté, Seigneur, libère-moi. Je me sens encore capable de servir ton Eglise. Et si c’est dans ton plan, Seigneur, je souhaite continuer à vivre pour te rendre gloire.’
Notre Dame de La Vang (Vierge vénérée au Vietnam) joue un rôle crucial dans toute la vie de Thuân. Périodes de souffrance comme moments de liberté se déroulent toujours sous le regard de Marie. « Je n’ose pas, comme Pierre, lui dire : ‘Seigneur, je suis prêt à mourir avec Toi’. De mon côté, je me sens faible. Mais dans ces moments, la Vierge m’aide. Je ne ferai pas de grandes déclarations mais, comme Elle, je contemple son visage qui rayonne d’Amour et je tâcherai de rester à ses côtés. Marie a osé être considérée comme la mère d’un criminel. » « Il y a des personnes qui ne savent ni lire ni écrire, mais c’est leur foi et leur dévotion au rosaire qui ont donné des vocations à notre pays ».

Malgré son incarcération et les mauvais traitements subis durant treize ans, Thuân n’a pas craint de parler ‘au monde’ et d’agir selon sa conscience. Il a défendu l’esprit vietnamien, les valeurs familiales et a engagé sa propre responsabilité envers le pays et l’Eglise universelle.
L’exil forcé poursuit son chemin de sainteté. Le Saint Siège ne veut pas céder à la pression politique vietnamienne de retirer Thuân de sa charge pastorale. Mais les autorités vietnamiennes restent inflexibles. En 1994, après un entretien avec le pape Jean Paul II, il choisit de démissionner de son poste d’archevêque de Saïgon, pour le bien de l’Eglise. Il choisit de servir différemment l’Eglise universelle : dans différents dicastères de la Curie romaine, puis vice président et président du Conseil Pontifical Justice et Paix. A la demande de Jean Paul II, il prêche la retraite de carême en 2000. Le pape voit en lui non seulement un homme qui a combattu pacifiquement contre l’oppression communiste avec courage, mais aussi un envoyé qui peut, par son témoignage, œuvrer pour plus de justice et de paix dans le monde. En 2001, il est créé Cardinal. La veille, il apprend être atteint d’un cancer de l’estomac à un stade avancé. Sa condition physique se détériore et il réalise que la mort est proche. Il en est éprouvé. La souffrance physique n’en est pas la cause principale. Il réalise qu’il ne peut plus évangéliser. C’est comme s’il regrette de n’avoir pas assez mis au service de Dieu les talents reçus.
Bien que mourant, c’est lui qui réconforte les autres. Il insuffle son courage et sa joie. Lors des entretiens, il garde les yeux fixés sur la croix accrochée en face de son lit. Il ne lui reste guère de temps pour lui-même, ni pour prier durant la journée. Il sait pouvoir s’unir à Dieu par le partage de son temps avec les autres ; sa manière d’être contemplatif de voir Dieu dans le tabernacle de ses frères.
« Je désir voir son Visage ». Thuân est même prêt à revivre toutes les souffrances de sa vie si elles le conduisent à voir Dieu. Sur son lit de mort, Thuân s’en remet pleinement à Dieu, comme il l’a fait durant ses années de prison. « Je pars avec sérénité, et je n’éprouve de haine pour personne. (…) Aimez la Sainte Vierge et ayez confiance en saint Joseph, soyez fidèles à l’Eglise, soyez unis et faites preuve de charité envers tous. » Il sombre dans le coma et part pour l’éternité le 16 septembre 2002. A sa demande, Thuân n’est pas enterré dans sa soutane de cardinal mais revêtu d’une chasuble rouge qui rappelle le sang des martyrs du Vietnam.
Son procès en béatification est en cours. Il est reconnu « vénérable » en 2017.

« En vivant ta foi, tu empruntes le regard du Christ Jésus et tu découvres en chaque événement une dimension d’éternité. »
« Dans la solitude des déserts, dans l’obscurité des prisons, tourne-toi vers tous ces autels du monde où le Christ s’offre en sacrifice ; offre-toi toi-même en sacrifice et communie par la pensée. Ton cœur débordera de courage et de réconfort »
« La tempête renverse les arbres et brise les branches mortes ou pourries. Mais elle ne peut arracher la Croix plantée au cœur du monde. »
« La charité est sans limites. Limitée, elle n’existe plus. »
« Je suis venu jeter le feu sur la terre et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé ! Tous tes instants doivent alors devenir des étincelles faites de l’accomplissement de ton devoir, de ton obéissance et de ta patience. Elles enflammeront et illumineront le monde. »
« Lorsque l’amour tarit dans le cœur des hommes, lorsque monte le raz-de-marée de l’égoïsme et de la vengeance, alors le temps de l’extermination est tout proche. »
« Je m’efforce d’être un témoin de l’amour de Dieu car le Seigneur veut être présent parmi eux. J’annonce même la Parole de Dieu à ces communistes. Je leur rappelle surtout que Dieu pardonne toujours et qu’Il ne porte pas sur eux le même regard que celui de ceux qui les condamnent. »
« Ecoutez la voix de votre conscience ;
vivez selon votre foi ;
ayez confiance dans la Providence divine »

« Pour devenir un Saint, imite les petits enfants, ils ne connaissent aucune théorie, mais ils se contentent de regarder leur mère et de faire comme elle. Ils pensent qu’elle sait tout et que tout ce qu’elle fait est bien. Regarde Marie et fait comme Elle, tu deviendras un Saint ».
« Seigneur, je veux vivre chacune des minutes en les remplissant de ton Amour,
en leur donnant leur plus grande densité, tout comme dans le ciel,
les saints vivent leur éternité.
Je dois sans cesse rendre plus dense le temps de ma vie.
Ce n’est pas sa longueur qui importe.
Tu ne m’interrogeras pas sur le nombre d’années que j’ai vécues.
Tu me jugeras, Seigneur, sur la densité de ma vie,
sur le poids d’amour déposé en chaque jour de mon existence. Amen. »