Une année avec les Randols

À Randol, depuis toujours, le temporel était entièrement lié au spirituel, la vie s’écoulait comme coule le lait, avec les jours et les saisons, avec le soleil et le vent, avec la pluie et la neige, mais surtout avec le jour comme il vient, c’est à dire avec une certaine sagesse.

Oui, la foi, c’est le levain de notre vie.

Les vieux-vieux-vieux des Randols priaient comme ça simplement, c’est qu’ils n’avaient pas de livre, eux, mais ils avaient du cœur. Et ils nous invitent à partager l’année liturgique, comme ils la vivaient, au jour le jour, autant que possible.

Il faut savoir qu’au village, on disait Jésus, Marie ou la Vierge, Joseph, comme on disait papa, maman, parce que, lorsque nous étions tout petits, on nous parlait de notre maman du Ciel, de la Vierge, notre Mère à tous, c’était tout naturel, ça ne faisait pas deux mondes comme maintenant. On était plus heureux, oui, on vivait comme si la Vierge, nos bons Anges, les Randols de tous les temps étaient là, vivaient avec nous, près de nous, dans notre famille. On n’était qu’une grande famille, la famille de Celui qui conduit tout. C’était un autre esprit, on n’avait jamais peur, puisqu’on n’était jamais seul. On aimait Dieu, mais en le craignant, c’est pour ça que ma grand-mère nous a tant aidé en priant la Vierge.

Au village il y a eu permanence des usages et coutumes religieuses, c’est très important. Pour certaines il n’y a pas eu d’interruption jusqu’à l’arrivée des moines qui faisaient la même chose : bénédiction des bêtes, des étables, des champs, mais aussi des œufs de poules pondus pendant la Semaine Sainte.

L’année, comme la journée, était rythmée par la vie liturgique. Dans la vie de village à Randol, il y avait deux grandes périodes : le Temps de Noël et le Temps de Pâques. Si chaque saison préparait la suivante, le spirituel et le temporel étant étroitement liés. Le temps de Noël allait de la saint Louis au mois d’août, à la saint Blaise le 3 du mois de février. Le temps de Pâques comportait l’autre partie de l’année, le temps du Carême préparant Pâques. Et le temps de Noël, lui, était préparé par le temps de l’Avent.

Tout ce qui vient d’être dit et les textes qui suivent sont extraits du beau livre Le Trésor des Randols, que vous trouverez sur : magasinrandol.org

Le village de RANDOL vers 1900

 

 

 

 

 

 

 

 

Le mois de mai, mois de Marie

La Pentecôte et la Fête-Dieu

Le mois de Marie.

Le moi de mai c’est le mois des fleurs, et c’est le mois de Marie. Cueille les fleurs avec délicatesse pour la Vierge, cueille-les avec ton cœur, disait grand-mère Marie.

Dites-moi un peu, le 1er mai, c’est la fête du travail, mais on ne travaille pas, puisque je vois les gens, ça se promène. Pour nous le 1er mai c’était le commencement du mois de Marie. De bonne heure, le matin, on faisait le travail, puis, vers 11 heures sous les ormeaux, ma grand-mère apportait la petite Vierge au Calvaire du Coudê, et on priait. Le soir les grand-mères disaient le chapelet, les enfants répondaient, et entre temps on faisait le travail.

Pendant le mois de Marie, le calvaire était fleuri, et dans chaque maison, dans un petit coin, dans la cuisine ou sur une tablette de la fenêtre, on ornait une Vierge avec un petit vase ou un verre avec des fleurs blanches ou roses pâles cueillies par les petites filles, car il y avait bien des genêts, mais on ne mettait jamais de fleurs jaunes à la Vierge. Et c’est là qu’on disait la prière du soir, où les enfants priaient le chapelet chaque jour avec les grand-mères, les femmes. Les hommes prient aussi, mes enfants, ne craignez pas, c’est qu’on peut prier en travaillant.

Selon une coutume auvergnate, le dernier jour du mois de Marie on offrait le bouquet à la Vierge lors de la récitation du chapelet. Chacun donnant les fleurs de son jardin et très souvent c’était un bouquet composé d’iris. On mettait aussi des ancolies avec des marguerites.

On savait deux chants sur les mêmes paroles. Quand on le chantait pendant le mois de Marie, on chantait : Ave Maris Stella…(chaque syllabe = un son = une note) ; et le grand chant qu’on chantait le 8 décembre, pour les fêtes de la Vierge, et pour commencer et finir le mois de Marie, écoutez bien : Ave-e Mari-is Stella-a-a-a-a… On chantait aussi : Le mois de mai, le mois des fleurs, Elles viendront chaque jour Parer l’autel, de ton Amour. Et encore : Je suis la bergère fidèle, La Mère du Bon Pasteur, Divine Bergère, Soyez notre Mère, Ô Mère du Bon Pasteur.

Le chapelet.

Prier le chapelet ça repose, ça délasse le corps et ça défroisse l’âme.

Grand-mère aimait bien nous faire prier au Calvaire du Coudê, parce que ça faisait venir les autres : Venez, venez, la Vierge est si heureuse de nous voir prier.

Dire son chapelet : Il ne faut pas parler comme ça, il faut dire prier son chapelet. Dire son chapelet c’est faire comme les perroquets, et prier son chapelet c’est penser à ce qu’on dit. Avec grand-mère un enfant disait ce qu’a dit l’Ange et les autres répondaient en priant le Rosaire que grand-mère nous expliquait avant dans son livre. Entre chaque dizaine elle lisait une page dans son livre de messe, elle avait même un livre qu’on lui avait donné, elle lisait une ligne et à la fin elle s’arrêtait, ce qui permettait à chacun de penser à ce qu’elle venait de dire. Ainsi tous ceux qui l’entendaient, s’arrêtaient de travailler, se signaient.

La communion solennelle.

Pour préparer les grands pour faire leur grande communion, grand-mère leur apprenait à chanter les Psaumes et le chant du Veni Creator.

Dès la naissance d’un enfant tout était prévu dans la maison pour la communion solennelle, car ce jour devait marquer dans la vie de l’enfant. Il faut dire qu’au début du 20ème siècle, dans le premier quart au moins, comme à la fin du siècle précédent, à l’âge de douze ans l’enfant devait avoir reçu tout ce qu’il lui est utile pour mener à bien sa vie d’homme : savoir lire, écrire et compter, avoir reçu une éducation morale et religieuse qui dans les villages était transmise par la tradition familiale. L’instituteur avait le devoir moral de faire des citoyens responsables dans leur pays.

Cette communion était bien préparée par les grand-mères sur le plan spirituel et par les mamans. Les enfants savaient leur catéchisme, mais vivaient surtout la vie de chaque jour en référence avec Dieu qui était le centre de leur vie. Une retraite de trois jours rassemblaient les enfants des différentes paroisses. De bon matin les enfants étaient descendus, le repas dans le petit panier confectionné par le grand-père dès sa naissance : un peu de soupe au pain, une pomme, trois noix.

La communion avait lieu un dimanche, souvent à la Pentecôte. La retraite avait lieu le jeudi, vendredi et samedi. Comme le samedi après-midi il y avait la confession, le matin, avant de quitter la maison, l’enfant demandait pardon à ses parents, à ses frères et sœurs, pour la peine qu’il avait pu leur faire ; car le prêtre disait : Pour que la paix soit dans vos cœurs, il faut avant tout qu’elle soit dans votre famille et dans votre village, c’est ça qui plaît à la Vierge.

Le samedi après-midi on répétait la cérémonie pour que tout soit beau. C’était celui qui ferait le plus beau signe de croix vous savez, puis on chantait tous les chants pour le lendemain, car les cérémonies étaient belles vous savez, les prêtres se donnaient beaucoup de mal pour que vraiment ce jour soit le plus beau de notre vie.

Puis, un après l’autre, chacun allait se confesser dans un confessionnal. Ce jour-là on se mettait à genoux sur un petit coussin et il y avait des rideaux bien propres tout autour du confessionnal, devant le prêtre il y avait un rideau blanc, brodé. Tout était donné par les grandes familles, même à Cournols. Il y avait tout ce qu’il fallait et de belles choses à l’église, les gens donnaient, certaines personnes brodaient, repassaient les nappes d’autel et les aubes du prêtre. D’autre part l’église était bien entretenue, ça sentait bon la cire, il y avait des fleurs, on était bien et on avait envie d’y rester.

Souvent de grandes familles prêtaient les habits afin qu’on ne distingue pas les enfants riches, des enfants pauvres. À cette époque les communiantes portaient une longue robe d’organdi et un long voile en tulle dont les bords étaient ornés d’une fine dentelle comme une mariée. Le voile était maintenu sur la tête de l’enfant grâce à une petite couronne et de longues épingles à tête de nacre. Ces épingles se gardaient dans les familles, parfois c’était la marraine qui les offrait, ou lors d’un mariage dans une famille aisée la mariée offrait une épingle à une enfant ; mais comme ça pique il fallait donner le sou, afin de ne pas perdre l’amitié. On avait aussi une large ceinture de tissu moiré où pendait une petite aumônière confectionnée par la marraine, c’était une sorte de petit sac arrondi finement brodé et orné, où la communiante rangeait son fin mouchoir, une petite pièce de monnaie pour la quête se trouvait à l’intérieur d’une petite bourse en perles. Tout ça était fait par la marraine et la communiante le gardait après, en souvenir. Les garçons étaient habillés en noir avec chemise blanche et un large brassard de moire blanche avec des franges de soie.

Ce qui était beau, c’était l’entrée à l’église en procession, les yeux baissés et un très léger sourire, m’avait dit marraine, c’est à la Vierge que tu souris, ta joie doit être dans ton cœur. Le chapelet en perles blanches entouré au poignet gauche qui tenait le missel, et dans la main droite on tenait son cierge bien droit. C’est grand-mère qui avait acheté mon cierge. Et ma marraine m’avait offert un joli missel. Voyez -vous pour choisir la marraine, on ne s’occupait pas de l’argent qui pourrait acheter le plus de dragées, on s’occupait de celui ou celle qui pourrait apprendre le mieux à vous diriger ; comme ma mère, ma marraine était très intelligente, mais moi je n’écoutais rien, ou bien j’avais la tête fêlée.

La messe était chantée par tout le monde. Avant la communion, les garçons et les filles chantaient, tout seul sans l’assistance : Le voici l’Agneau si doux, le vrai Pain des Anges.

La messe terminée, avant le dernier Évangile, une marraine pour les filles et une pour les garçons distribuaient à chaque communiant une petite brioche, car à ce moment là pour communier il ne fallait pas manger ni boire depuis la veille au soir. Dans de belles corbeilles habillées de blanc avec des dentelles, une famille offrait le pain bénit. Les enfants de chœur habillés en rouge et blanc apportaient ces corbeilles où des brioches avaient été coupées en petits carrés. Le prêtre bénissait ce pain et priait pour les morts des familles, pour les malades. Chacun prenait un petit morceau de brioche, se signait et le mangeait respectueusement. Grand-mère en rapportait pour ceux qui n’avaient pas pu venir. Et le prêtre annonçait l’heure des grandes Vêpres. Pendant la retraite on nous expliquait que le cierge comme le chapelet ne devaient plus quitter la communiante : le chapelet lui servirait toute sa vie et l’accompagnerait jusque dans son cercueil au delà de la mort ; lors de son mariage, la jeune épouse prendrait et garderait son cierge dans sa maison. Le cierge doit rappeler que la femme dans un foyer doit être la lumière de la maison ; enfin ce cierge doit accompagner le chrétien dans les luttes de la vie de chaque jour, disait ma mère !

Les grandes Vêpres, auxquelles toute la famille assistait, n’étaient qu’à seize heures, il fallait bien le temps de se reposer. Et ce jour-là, à la maison, il y avait tout ce qu’il fallait sur la table pour que l’enfant se souvienne que toute la journée c’était le plus beau jour de sa vie.

La chorale et toute l’assistance chantaient les Vêpres, puis il y avait la rénovation des vœux du baptême. Chaque communiante, chaque communiant, l’un après l’autre, avançaient jusqu’à l’autel, le grand livre de l’Évangile était ouvert, on posait sa main bien respectueusement et à plat sur la page, mais sans appuyer afin de ne pas risquer d’abîmer le livre, et chacun disait ce que sa marraine avait dit à sa place le jour de son baptême. Avant, bien ensemble, nous récitions le Credo, l’acte de foi, et Je m’attache à Jésus-Christ pour toujours. Comme ça durait longtemps, parce qu’il y avait beaucoup d’enfants, les chanteuses chantaient le Veni Creator. Puis tout se terminait par l’adoration du Saint-Sacrement, enfin le Salut, tous les chants étaient en latin, c’était tellement beau que je ne m’en souviens plus ! Ah ! si, avant le Salut tous les enfants chantaient le Magnificat, puis les chanteuses chantaient seules le Veni Creator Spiritus et le Tantum ergo pour le Salut. Pour terminer tous les hommes chantaient : Laudate, laudate Maria. Après la guerre qui était tout juste terminée on chantait : Vierge notre espérance, ô Vierge… est tout en Vous. Sauve, sauve la France, ne l’abandonne pas.

Revenus au village, le ou la communiante allait avec son parrain ou sa marraine apporter la paix, tout d’abord à la croix du Coudê, puis dans chaque famille du village. Et à la maison tout reprenait normalement, quand il y a des bêtes le travail commande. J’avais retrouvé mes habits et mes petits sabots. Grand-mère m’a dit : Viens ma petite, nous irons nous reposer sous les ormeaux, et nous prierons le chapelet. Le soir, à la prière, nous avons dit merci à la Vierge.

L’année suivante on faisait le renouvellement de la Communion, c’était encore une grande fête.

Les Quatre-temps d’été.

Les Quatre-temps d’été c’était après la Pentecôte. Pendant une semaine, les mercredi, vendredi et samedi, on faisait le jeûne ou l’abstinence de viande, car pour les hommes c’était parfois le début des fenaisons, alors il faut penser à aider notre corps, disait le prêtre. Ça servait à faire pénitence pour remercier Dieu, vous savez fin mai, début juin tout est fait pour les cultures, et c’est avant le 15 mai qu’il faut la pluie, sinon c’est la sécheresse, la pluie d’orage c’est pas bon, ça roule. On sait déjà si on aura du foin, si les céréales seront bonnes, s’il y aura des fruits, des raisins. Mais on savait que les récoltes étaient préparées, il fallait que le temps soit bon pour les faire mûrir, grossir et pour qu’elles soient bonnes et abondantes, c’est le prêtre qui parlait comme ça. On demandait le beau temps et la pluie quand ce serait nécessaire, c’est si important pour la vigne, ça fait grossir les raisins, mais pas de gros orages si redoutés en juin ici. Et surtout n’oubliez pas de remercier, c’est si important. En disant merci pour la récolte qui vient, on demandait à Dieu protection et même sa bonté, disait grand-père Georges, pour que tout soit bien, pour qu’on récolte aussi bien les pommes de terre que le blé et le seigle, les fruits, les plantes et les raisins. Mais il y a du temps pour chaque chose, les foins en juin, début juillet, les moissons au début août, puis en septembre les pommes, et les vendanges le 15 octobre. Vous savez le travail de la terre c’est continu, on ne s’arrête pas. Mais attention, attention, vivez bien en dépendance de Dieu, disait le prêtre, de la Providence, c’est Dieu seul qui commande au soleil et à la pluie. S’il vient un orage, allumez votre cierge et surtout ne pensez pas à la colère divine, cela n’existe pas. Dieu est bon, il ne se venge pas. Il veut notre bien et seulement notre bien, mais priez pendant l’orage pour avoir la force d’accepter et de réparer les dommages. Ne laissez pas les bêtes seules, allez les aider afin que le mauvais ne les tourmente pas, car les bêtes aussi sentent l’orage et ont peur.

Fête-Dieu

Grand-mère Marie effeuillait bien délicatement les roses de Notre-Dame, les pivoines, pour mettre les pétales dans une petite corbeille, car le jour de la Fête-Dieu à Cournols on faisait un reposoir. Un petit linge humide était délicatement posé sur la corbeille pour que les fleurs gardent leur fraîcheur. « Allez, disait mon père, si le bon Dieu vous a donné des jambes, c’est bien pour vous en servir. J’étais petite, grand-mère me tenait par la main et, en priant la Vierge, ça se faisait, on arrivait à Cournols par le chemin des Croix, mais on ne se pressait pas, c’est pas bon pour l’âme, disait grand-mère. Au contraire on arrivait toujours un peu à l’avance afin de prendre un peu de repos, après on prie mieux. Puis on rentrait dans l’église. Les petites filles étaient habillées en blanc, une couronne faite avec de l’herbe de la Vierge, le lierre, bien posée sur leurs cheveux ; je dis bien de l’herbe de la Vierge, donc le lierre terrestre, car l’autre espèce, celle qui grimpe aux arbres, c’est païen. Avec quelques petites fleurs blanches des champs, des marguerites, c’est simple mais c’est beau. La petite corbeille était suspendue à notre cou avec un joli ruban, allez, avancez les enfants et restez bien humbles comme le perce-neige, disait grand-mère. On disait à la Vierge : Prends ma couronne, Je te la donne, Au ciel, au ciel, J’irai la voir un jour. Quand le Saint-Sacrement passait tout le monde se mettait à genoux et les petites filles jetaient délicatement les fleurs devant les pas du prêtre qui allait de l’église jusqu’au reposoir. Pendant la bénédiction, pendant le chant du Tantum ergo, on jetait quelques fleurs. Puis c’était le beau chant du Laudate, laudate, laudate Mariam :

Ô Vous qui sur terre, N’aspirez qu’au ciel, Chantez d’une Mère, Le nom immortel.

Refrain : Laudate, laudate, laudate Mariam. Laudate, laudate, laudate Mariam.

Lis de la vallée, Ô Reine des fleurs, Vierge immaculée, Parfumez nos cœurs.

Avec la lumière, Du cierge qui luit, Que notre prière, Monte à vous sans bruit.

Ô brillante étoile, Bel astre des mers, Guidez notre voile, Sur les flots amers.

Reine d’espérance, Du plus haut des cieux, Sur la pauvre France, Abaissez les yeux.

Divine Patronne, Qui régnez aux cieux, Ô Mère si bonne, Recevez nos vœux.

Nous voulons sur terre, Jusqu’aux derniers jours, Vous chanter, vous plaire, Vous aimer toujours.

Ô Mère chérie, Donnez-nous l’espoir, Après cette vie, Au ciel de vous voir.

Et dans la lumière, Du jour éternel, Toujours tendre Mère, Nous dirons au ciel :

Laudate, laudate, laudate Mariam.

Chaque année, jusqu’après le renouvellement de sa grande communion, les petites filles allaient honorer Marie et Jésus, en jetant des fleurs qui correspondaient à de nombreux sacrifices offerts pour les âmes des réprouvés, mais aussi pour fêter Jésus. Après être revenus à l’église, on donnait un peu de réconfort à notre corps, puis grand-mère faisait jouer les enfants ensemble, mais gentiment, sans crier : Sautez comme des petits cabris les enfants, ainsi nous pourrons mieux prier la Vierge au retour.

Le remède de Noé.

Quand arrive le mois de mai, souvent certains sont fatigués, car les hivers étaient longs et difficiles. Pour tous il faut que votre corps s’adapte, disait le prêtre, faites vous aider par le remède de Noé ; et pour les enfants on donnait du remontant de mai. Dès la première quinzaine de mai c’est en fleur, il y en a beaucoup sous le village en allant vers la Monne, car ça pousse où il y a un peu d’humidité. L’herboriste disait que ça s’appelait l’orchis mâle. C’est beau, les feuilles sont larges, vertes, avec des nervures et parfois des petites tâches rougeâtres ; les fleurs sont les unes au-dessus des autres, comme un épi, avec des petites fleurs d’un rouge un peu grenat. Quand la fleur est passée, on tire doucement sur la tige qui sort de terre avec une petite racine. La nature est bien faite vous savez, cette plante a deux bulbes : il y en a toujours un qui reste dans la terre pour produire une fleur l’année suivante. On fait sécher la plante et du bulbe on sort une poudre fine comme de la fécule. On peut en faire une sorte de bouillie avec de l’eau ; grand-mère y mélangeait un peu de confiture de groseilles ; et on donnait ça aux enfants, aux personnes âgées qui étaient fatiguées. C’est très nourrissant, alors ça aide, c’était même une gourmandise.

Les hirondelles.

Au printemps, dès qu’on les voyait revenir on disait : Ave, Ave, Ave Maria. Les hirondelles sont les messagères de la Vierge. Quand les hirondelles se préparent à repartir au pays de la Vierge pour aller y passer l’hiver, oui, c’est beau mes petits roitelets, les hirondelles se préparent à partir, et elles se mettent ensemble pour faire ce grand voyage. Pour nous qui restons dans notre village, il nous faut du courage pour passer l’hiver, mais nous aurons une grand joie quand les hirondelles reviendront. Elles reviennent chaque année, chaque printemps pour nous dire : Courage, ça y est, l’hiver est fini, les fleurs vont refleurir, les arbres auront des feuilles. C’est ça l’espérance : on ne voit pas quand l’hiver la neige tombe ici, oui, on ne voit pas qu’au pays de la Vierge il fait du soleil et que Celui qui conduit tout va donner le signal aux messagères de la Vierge de revenir chez nous. C’est beau la création, mes petits enfants.

De temps en temps il faut savoir faire comme les hirondelles, disait grand-mère Marie avec un petit sourire et de la vraie joie dans les yeux. Mais qu’est-ce qu’elles font les hirondelles ?D’un coup d’aile elles volent vite, elles vont voir ou respirer ailleurs, peut-être pour s’amuser. – Merci, mes petits roitelets, vous avez saisi la chose et bien appris les nouveaux mots. C’est vrai les hirondelles volent vite, souvent deux par deux, ça fatigue moins, elles sont belles sur le ciel bleu. Le beau et la beauté sont des choses de Dieu. C’est vrai, on voit mieux les choses après, comme avec le regard neuf, on a vidé son cœur de ses peines et on est tout neuf. C’est ça la disponibilité, mes petits enfants.